Reconnaitre les contributions

Reconnaitre les contributions

Chapo
Comment notre système de protection sociale, qui a fait du “travail-emploi” sa clé de voûte, peut-il sécuriser et reconnaître les personnes dans les activités qu’elles réalisent pour leurs proches, pour la société et le vivant, en dehors du champ du « travail-emploi », afin que ces activités continuent d’exister et de jouer leur rôle de cohésion et de prévention sociale ?
Corps


La protection sociale en France, c’est un immense dispositif de solidarité collective, dont nous avons eu et aurons tous besoin, à un moment ou un autre de notre vie. Ce système est un acquis indéniable. Cette protection doit permettre à chacun de se projeter dans sa vie et de considérer l’avenir sereinement.  Cependant, l’évolution de la société depuis 1945 (lorsque les bases du système tel que nous le connaissons  ont été mises en place) pose la question de son adaptation aux nouveaux enjeux sociaux et environnementaux. Si le système reste particulièrement protecteur et efficace pour une grande part de la population, il ne répond pas toujours aux besoins des personnes les plus vulnérables.
 
Comment alors penser un système qui ne laisse personne au bord de la route, notamment celles et ceux qui en ont le plus besoin ?

Nous nous sommes rapidement rendu compte que le système de protection sociale était principalement organisé autour du « travail-emploi ». C’est de là que sont issus les principaux droits, et c’est principalement par nos salaires que l’on cotise et que l’on contribue financièrement au système.

Mais les participants aux carrefours de savoirs ont aussi mis en lumière qu’il y avait bien d’autres manières d’aider et d’être aidé. Ces aides qui se jouent « ailleurs », ne sont souvent pas reconnues, parfois risquées pour les personnes, ou encore empêchées. Après s’être « heurtés » plusieurs fois à cette question, souvent nommée au travers de situations de vie injustes, nous avons décidé, à l’automne 2021, de centrer nos recherches sur ce sujet de la reconnaissance de ce que nous avons appelé « les activités non-rémunérées ».

L’engagement quotidien des personnes - notamment celles qui vivent la précarité - dans l’entraide, le soin et la solidarité est une réalité indéniable.

Ce « boulot de dingue » réalisé par les aidants, les bénévoles, les «sans travail », les femmes dites « au foyer » n’est pas anecdotique. Cette « protection sociale rapprochée » dont parle Robert Castel1 apparaît même comme un maillon essentiel pour faire face, comme société, aux difficultés de la vie. Elle devient encore plus vitale face aux crises sanitaires, climatiques qui adviennent.

Pour autant, l’injustice est là. Celles et ceux qui contribuent dans le « hors emploi » n’ont pas le même accès à la retraite, à la formation, au revenu que celles et ceux qui contribuent dans l’emploi. Les formes de reconnaissance économique, sociale, symbolique font défaut et les effets de ces activités sont rendus de ce fait invisibles aux yeux de tous.

A cela s’ajoute une stigmatisation des plus pauvres, qui coûteraient “un pognon de dingue”, et de nombreuses idées reçues sur le « non-travail » et la supposée oisiveté des personnes. Cette vision a des conséquences importantes pour les personnes, leur dignité et leur place dans la société.

Sans remettre en cause la place et le rôle du travail rémunéré – y compris dans ce qu’il porte comme possibilité d’indépendance, d’autonomie et de réalisation de soi – notre propos ici est simple : reconnaître et faire reconnaître la réalité et l’importance, le bénéfice pour chacun d’entre nous, et pour la société, de cette entraide et de ces contributions bénévoles.

 

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1 Robert Castel Les métamorphoses de la question sociale (Fayard, 1995).