L'enjeu du "care", du "prendre soin"

L'enjeu du "care", du "prendre soin"

Chapo
Après un inventaire précis de toutes les activités que les personnes réalisent et qu’elles trouvent importantes, à partir des histoires de vie des participants au Carrefour des savoirs, nous avons cherché le point commun entre toutes ces activités.
Corps

(pour plus de détails, voir le rapport "Un boulot de dingue")

Les activités du prendre soin

Quasiment toutes ces activités peuvent être rassemblées autour de ce grand enjeu sociétal du care, du prendre soin.

La philosophe Joan Tronto définit le Care comme "l’activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie"1.

Dans notre cheminement, est revenue souvent l’idée que ces activités étaient finalement "la somme de tout ce qu’il y a à faire".

Nous avons alors tenté d’opérer un classement plus fin afin d’en faire des catégories analysables. Trois grandes catégories sont apparues, le prendre soin (de soi, des autres et du vivant), le produire pour soi et le produire du sens, inspirées des travaux de la sociologue Marie-Anne Dujarier dans son livre Troubles dans le travail, pour décrire ce qu’elle appelle les "pratiques utiles et vitales hors emploi"2.

Nous avons ainsi distingué : (voir ici pour une description plus détaillé)

  • Prendre soin
    • de soi
    • des autres
    • de sa famille, de son cercle élargi : les solidarités de voisinage
    • soin du vivant (autre qu’humain)
  •  produire pour soi : autosubsistance et autoproduction
  • produire du sens.

Ces activités sont loin d’être marginales.

C’est tout un pan de notre économie qui, quand on tente de l’estimer avec les indicateurs de richesse classiques (le PIB, le nombre d’emplois), est éloquent ! Les 13 millions de bénévoles en France, dans diverses organisations, accomplissent le travail de 680.000 équivalents temps plein, par exemple. On compte près de 10 millions d’aidants. Si l’activité parentale et domestique était déléguée à des professionnels, le PIB augmenterait d’un tiers !

Ces chiffres montrent l'intérêt de mieux prendre en compte ces activités ! Maud Simonet nous invite également à interroger les formes d'appropriation d'un travail réalisé gratuitement 3. Cela fait écho au vécu du groupe, avec l'exemple des masques réalisés pendant le confinement : les pouvoirs publics comptaient dessus pour la protection des personnes.

Il faut aussi remarquer que ce travail est très largement pris en charge par des femmes.

Une protection sociale rapprochée

Toutes les activités utiles, non reconnues et non rémunérées que nous avons listées dessinent une forme de protection sociale de proximité. L’impératif de prendre soin repose en effet sur trois formes complémentaires et imbriquées dans un espace hybride : le soin de soi, le système de santé institutionnel et toute cette protection "diffuse" apportée par les proches et l’entraide.

On est au cœur des problèmes, car notre société ne sait pas reconnaître cette protection rapprochée, alors que, sans elle, tout s’écroule.

Mais dire l’importance de ce champ de la "protection sociale rapprochée" ne signifie pas que l’entraide familiale ou le réseau de proximité "suffirait" à la prise en charge des besoins de protection sociale. Nous affirmons au contraire l’importance d’un système de solidarité collective et la nécessité de penser la complémentarité des deux champs.

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1 Véronique Laurent, « L’éthique du care selon Joan Tronto», (entretien), Axelle mag, 195-196, janvier-février 2017

2 Marie-Anne Dujarier, Troubles dans le travail. Sociologie d’une catégorie de pensée, Paris, Puf, 2021

3 Maud Simonet, « Et si on travaillait toutes et tous gratuitement ? », Les Idées larges, Arte TV, janvier 2022


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