La protection sociale au coeur de notre contrat social.

La protection sociale au coeur de notre contrat social.

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Le Secours Catholique, en partenariat avec le Collectif pour une Protection Sociale Solidaire, a mené une grande "Enquête pour une protection sociale plus juste".  Cette enquête fait partie intégrante de la démarche citoyenne pour contribuer à construire un système de protection sociale plus juste et plus doux. Elle a été menée de fin janvier à mi-avril 2018. Elle était adressé au plus grand nombre, chacun et chacune était invité.e à y répondre, raconter son expérience de la protection sociale, donner son avis. Plus de 3.300 personnes y ont répondu.

 

Novembre 2018

Le rapport statistique du Secours Catholique « État de la pauvreté 2018 » a consacré sa partie thématique à la protection sociale, avec une analyse détaillée des données de l'enquête (à retrouver ici). Voici la lecture qu'en a fait le Collectif pour une Protection Sociale Solidaire.

Cette enquête apporte une confirmation et quatre précisions.

 

La confirmation apportée par l’enquête touche au sens que nous donnons à la protection sociale.

Quand on énonce son principe fondateur (« contribuer selon ses moyens et recevoir selon ses besoins »), plus de 95 % des répondants sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord. Au-delà de ce chiffre exceptionnel, les raisons énoncées soulignent les idées de justice et de redistribution. Surtout, pour près d’un tiers des répondants, c’est ce qui donne sens à la vie collective, ce qui concrétise les principes de solidarité et de fraternité.

Le Collectif a toujours mis en avant la défense de la protection sociale, non pour des raisons de simple charité envers certains, ni de seule efficacité économique (« il faut des travailleurs en bonne santé »), mais avant tout pour contribuer à vivre ensemble et en paix car nous sommes interdépendants. Nous dépendons les uns des autres – et de la planète qui nous héberge – pour exister. À la fois vulnérables et contributeurs, différents et complémentaires, ce qui nous invite à la solidarité plutôt qu’au chacun pour soi.

Cette enquête confirme qu’une telle intuition est largement partagée et que la protection sociale est au cœur de ce que Rousseau appelait notre contrat social.

Elle bat en brèche la vision de la protection sociale présentée comme une charge ou un fardeau pour notre société, « alourdissant » les taux de prélèvements obligatoires, alors que ses dépenses sont d’abord des transferts de revenus entre des  actifs et des retraités2, des personnes en bonne santé et des personnes malades, des personnes valides et des personnes en perte d’autonomie, des personnes en emploi et d’autres au chômage, ou encore vers les personnes en situation de précarité.

Car constater cette interdépendance nous invite à prendre soin les uns des autres. Elle implique aussi la garantie des droits fondamentaux, au nom de notre commune humanité. Dans l’enquête, les principales raisons données à l’accord sur le principe d’universalité3 (qui recueille près de 80 % des réponses) sont d’une part la dignité et le respect des personnes (28 %), et d’autre part une vision des droits de l’homme comme étant des droits fondamentaux pour tous (26 %).

 

Au-delà de cette idée-force, nous pouvons retenir quatre pistes pour la suite de nos actions.

 

1. Il est possible d’améliorer l’attribution des droits et la transaction administrative sans pour autant blâmer les agents.

Ceux-ci sont perçus comme des alliés et leur capacité d’écoute est reconnue. Mais cela n’empêche pas de reconnaître que l’on devrait repenser l’ouverture des droits et la « forme des cases ».

La multitude de guichets et de dispositifs forme un dédale dans lequel on se perd (renvoi d’une administration à une autre, délais de réponse, incompréhension, inquiétude d’avoir mal rempli son dossier sont souvent cités).

Améliorer le système d’attribution des droits suppose de ne pas considérer chaque dispositif individuellement, mais penser leurs articulations à partir des vies de chacun. Les histoires de vie présentées par certains répondants racontent pour beaucoup des situations où tout s’imbrique, le croisement entre différents domaines de la protection sociale (santé, famille, travail…). La forte attente autour de l’idée d’un interlocuteur unique, en capacité d’accompagner sur l’ensemble des droits, vient à notre avis pointer cette nécessaire articulation et plus grande fluidité entre les dispositifs (dont l’interlocuteur unique serait en quelque sorte une traduction concrète, mais pas la seule possible).

Le numérique comme une solution de simplification des démarches ne fait pas l’unanimité. Les avis sont étonnamment équilibrés : pour un tiers des répondants, le numérique est un élément facilitateur, pour un tiers, c’est une difficulté, et, pour le dernier tiers, ce n’est ni un élément facilitateur, ni une difficulté. Pour nous, cela reflète ce que peut faciliter un tel outil, mais aussi ses effets de fragmentation voire d’exclusion sur certains publics. Au travers de ces réponses, c’est la possibilité du choix entre les démarches par internet ou l’accompagnement par des personnes qui est posée.

 

2. La protection sociale n’est pas vécue de la même manière aux différents niveaux de l’échelle sociale.

Ce constat est posé depuis le début de notre Collectif et trouve un écho très fort dans l’analyse de certaines réponses à l’enquête, quand on porte une attention particulière au tiers des répondants qui vivent en situation de pauvreté.

C’est le cas dans la relation même au système de protection sociale. Les réponses aux questions concernant la difficulté des démarches, les refus ou arrêt des prestations en sont un exemple. Le tiers des répondants à faible revenu (niveau de vie inférieur à 1 000 euros) se sont trouvés confrontés à un refus de prestation, la moitié à l’arrêt imprévu d’une prestation, ce qui est bien plus que pour les catégories à revenu plus élevé. À l’inverse, ils sont moins nombreux à avoir des réponses positives aux réclamations. Dans ces situations, les difficultés dans les démarches s’en trouvent décuplées. Au-delà du manque d’information ou des délais de réponse, c’est le blocage ne dépendant pas des personnes, ou l’opacité dans la décision qui sont souvent cités. De plus, la majorité des personnes ayant vécu des situations non prévues par les administrations sont des personnes à faible revenu.

Et quand les revenus viennent à manquer, le premier geste consiste à se priver.

Ne plus manger à sa faim, ne plus se chauffer, ne pas se soigner… Ces privations ont des effets sur les vies. Dans les situations où les ressources financières ne sont pas suffisantes, le fait de se priver des soins de santé est fréquent pour l’ensemble de la population ayant répondu à l’enquête (26 %), mais encore plus chez les répondants dont le niveau de vie est inférieur à 1 000 euros (35 %). En cas de difficulté, les personnes en situation de précarité se privent, ou sont aidées par des proches principalement.

Une protection sociale n’est pas complète si les besoins vitaux ne peuvent être satisfaits et que les personnes hypothèquent sur leur vie et leur espérance de vie.

Par ailleurs, croire à l’incitation à l’emploi par la limitation des prestations de protection sociale est une idée fausse. C'est par la couverture des besoins essentiels et la confiance que l’on peut permettre à chacun de contribuer au bien commun.

 

3. Sur la question de la contribution : l’enquête révèle que c’est la solidarité au-delà de ses proches qui est perçue comme principale contribution à la société.

C’est l’engagement et la solidarité, dans un cadre organisé ou dans l’action individuelle par la relation de solidarité à l’autre, qui sont le plus souvent cités.

En écho, les formes de reconnaissance de cette contribution portent surtout sur des reconnaissances d’ordre non monétaire.

Cela commence par une abolition des différents délits de solidarité existants : comment comprendre qu’un hébergement à titre gracieux soit considéré comme une colocation et coupe dans des aides sociales, alors que cela répond à un besoin primordial et contribue à lutter contre l’isolement ? Pourquoi continuer d’interdire d’exercer des activités bénévoles quand on perçoit des allocations chômage alors que cela maintient en activité ?

Cela passe ensuite par une forme de reconnaissance du temps passé et de la compétence mise à disposition pour s’investir dans des activités de bien commun – comme le bénévolat et l’engagement associatif ou le fait d’être un proche aidant pour son entourage – avec des droits non directement monétaires comme les trimestres de retraite et le droit à la formation.

L’aide aux personnes dépendantes est très souvent citée. Des réponses sans doute révélatrices d’une solidarité familiale où la prise en charge humaine et financière par les proches est importante. Elle nous interpelle sur la réponse que nous voulons donner, en tant que société, à l’enjeu du soin aux aînés.

Ces différentes pistes relevées à partir de l’enquête donnent sens à la volonté du Collectif de lancer une expérimentation, en 2019-2020, sur la question des contributions à la société autres que celles reposant sur le travail rémunéré, et de leur reconnaissance.

 

4. Enfin, cette enquête amène à s’interroger sur la place de l’argent dans le système actuel.

Notre système de protection sociale s’est développé en rendant obligatoires des transferts financiers et donc des formes de solidarité qui vont au-delà des proches.

Le revers de la médaille, c’est qu’une partie des personnes ne perçoivent plus que cette contribution financière constitue une forme de solidarité. 30 % des répondants affirment que payer des impôts ou des cotisations sociales n’est pas une contribution à la société, ou seulement en partie.

On peut émettre plusieurs hypothèses pour comprendre ces réponses : soit que l’on ne sait pas ce qui est fait avec l’argent ; soit que le discours sur le « poids » de la dépense publique porte ; soit qu’il est insuffisant de transférer de l’argent pour être solidaire.

Dans tous les cas, cela demande au Collectif de préciser en quoi une protection sociale plus juste doit reposer sur le partage des richesses monétaires et sur d’autres dimensions que l’argent (la forme du lien, l’accompagnement, la délibération…).

Pour le Collectif, repenser une protection sociale plus juste ne peut se faire qu’en partant de la vie des personnes, en comprenant l’expérience de celles et ceux qui sont aux marges du système, les vulnérabilités, les difficultés et points d’appui que chacun rencontre, avec une attention particulière à celles et ceux qui sont en bas de l’échelle sociale. Les résultats et l’analyse de l’enquête peuvent y aider. Ces pistes méritent donc d’être approfondies pour nous aider à définir notre stratégie vers une protection sociale plus solidaire. Les plus de 200 histoires de vie racontées dans la deuxième partie de l’enquête sont un matériau primordial pour poursuivre cette réflexion et imaginer des propositions au plus près de la vie des gens.


  1.  « Actif » correspond par définition administrative à une personne en emploi ou en recherche d’emploi. Ceux qui n’entrent pas dans ces catégories ne sont néanmoins pas à considérer comme sans activités.
  2. C’est à dire l’idée que la protection sociale doit prendre soin de toute personne d’égale manière, quelle que soit sa condition.