Comment en sommes nous arrivés là ?

Comment en sommes nous arrivés là ?

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(cette page est un résumé de la 2eme partie du rapport "Pour un revenu sans contrepartie" : Comment en sommes nous arrivés là ? Histoire d'un renoncement. Pour lire le rapport, c'est ici.)

Vous trouverez également ici une petite histoire des minima sociaux.

La logique actuelle paraît implacable : la société veut bien aider celui ou celle qui traverse des difficultés, pourvu qu’il ou elle fasse des efforts pour s’insérer. Implacable, cette logique l’est, de fait, avec les allocataires sanctionnés, comme avec tous ceux qui ont renoncé au RSA, pour ne pas subir pareille humiliation. Elle n’a pourtant rien d’une évidence. Elle résulte de choix successifs. En d’autres termes, le système que notre société a mis en place, notre société peut le défaire.

Nous avons voulu comprendre l’enchaînement des décisions qui ont abouti à la situation actuelle. Celle-ci est très liée aux évolutions de notre système de protection sociale.

Après la guerre, on assiste à la création d’un certain nombre d’allocations financières ciblées pour des personnes considérées comme inactives (en situation de retraite, d’invalidité, de handicap...). Pendant les Trente Glorieuses, il est assez aisé de trouver un emploi, même peu qualifié, aussi les aides ne sont-elles que résiduelles, ciblées sur les personnes fragilisées par leur santé ou par une rupture familiale. Ces aides, accordées sans avoir à s’inscrire dans un parcours d’insertion, représentent alors 60 % du salaire minimum.

Face au chômage de masse, la décision est prise de distinguer ce qui relevait de l’assurance, qui découlait de l’exercice d’une activité salariée, et ce qui relevait de la solidarité. Plutôt que de réguler autrement le marché du travail, le choix est fait d’élargir des minima sociaux à ces nouvelles catégories de population. Alain Supiot le résume ainsi : "Au lieu de fonder une solidarité face au risque, où chacun est tout à la fois appelé à donner (cotiser) et à recevoir (percevoir des prestations), [l’État] renoue avec la charité publique, c’est-à-dire avec une solidarité face au besoin, où les plus riches donnent sans recevoir tandis que les plus pauvres reçoivent sans être appelés à donner."

C’est à cette époque qu’est créée, à la demande d’un patronat désireux de transférer à l’État la prise en charge des chômeurs de longue durée, l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Elle représente 50 % du salaire minimum, et est versée tant que la personne justifie d’une recherche d’emploi.

La création du revenu minimum d’insertion (RMI), en 1988, a forgé un consensus ambigu et fragile autour de la notion d’insertion. D’un côté, il reconnaissait la responsabilité de la nation envers les plus pauvres de ses membres mais de l’autre, il enjoignait aux allocataires de fournir des efforts afin de retrouver une situation sociale « normale ». Il passait ainsi sous silence la responsabilité des entreprises ou des collectivités.

Mais le RMI, victime de son « succès », est progressivement réformé : on lui ajoute d’abord des dispositifs d’intéressement financier à la reprise d’un emploi, jusqu’à lui substituer le revenu de solidarité active (RSA). L’ "activation" des "bénéficiaires", autrement dit l’incitation à (re)trouver du travail, en devient le principe même, par des incitations monétaires d’un côté et un système de sanctions de l’autre. Ce système conditionne l’allocation au respect d’un "contrat" que les personnes vivant dans la pauvreté n’ont pas vraiment le choix de refuser, et biaise la relation d’accompagnement par des travailleurs sociaux. Le barème des sanctions est durci début 2012.

Le projet de "revenu universel d’activité" (RUA) mis en avant par Emmanuel Macron en 2018 s’inscrit dans la même veine. Il a pour ambition de généraliser l’activation à l’ensemble des minima sociaux. Mais au moment de clore ce rapport, malgré une longue concertation, le gouvernement semble vouloir remiser son projet. Le décrochage entre minima sociaux et revenus du travail, lui, s’accélère : en 2020, le montant du RSA pour une personne seule re- présente 46 % du Smic, mais il pèse bien moins de 40 % en proportion du Smic augmenté de la prime d’activité.